Pour la communauté : « Les Croqueurs de Mots »
Lenaïg Boudig à la barre n° 61 lien
Les jeudis-poésie du 4 et 11 août 2011 thème « Le mal du pays, l'exil »
Exil
Mère, à votre larme miroir de vos états d’âme je goûte l’amer de votre nostalgie profonde à quitter vos vieilles dentelles jaunies, peaux mortes de votre existence, souvenirs de naguère incrustés en votre cœur de même votre anneau en or au doigt est resté greffé femme veuve… Partir c’est mourir tout court s’essouffle à vous dire votre grand âge … Je vous sais pleine de pleurs… Mère, il vous faut vous défaire des choses, des habitudes, même si votre corps se rebelle, elles risquent de vous blesser, votre solitude alors serait poison mortel… Mère, la sagesse vous commande d’exorciser de votre mémoire le visage d’hier, de trépaner de votre esprit toutes pensées de rester là, ne vous y accrochez plus tel le lierre attaché à la pierre… Vos omniprésentes reliques sur votre commode m’incommodent, me culpabilisent en mon âme et conscience… J’ai l’impression de vous tuer… Mère, aidez moi, venez je vous en conjure, il est temps d’un ailleurs où reposer le reste de vos jours… Vous êtes debout sur le pas de votre porte, en chapeau à voilette et manteau sombre, vieille dame émouvante, silence lourd de tout un corps usé qui s’arrache à lui-même, à ses murs empreints des vicissitudes de toute une vie humaine… Mère, il est tard, l’instant de adieux est venu, saluez les fantômes qui survivaient ici à vos côtés et avec qui vous tuiez le temps à coups de monologue… Mère, courage encore, je vous sens défaillante, agrippez-vous à mon bras, appuyez-vous y bien, de toute votre peine, je serai le paravent protégeant votre pudeur des regards de la rue indiscrète, ensemble franchissons le seuil des heures vécues, votre main ridée dans ma paume émue de ne plus vous savoir jamais à cette fenêtre à m’attendre… Mère, une place vous patiente là-bas où vous savez, d’autres gens vous conduiront le geste bienveillant à la fin de vous-même… Mère, donnez-moi le bras et promettez-moi de pleurer si en vous émerge ce besoin légitime, il vous reste ce droit, n’en abusez point, je préfère de loin votre beau sourire aux larmes, baume de mon enfance… Oui mère j’ai éteint la lumière et fermé la porte à double tour... Nous voici arrivés… Prenez ce mouchoir, essuyez votre chagrin… Je viendrai vous voir dimanche avec une boîte de chocolats noirs, vos préférés, promis, juré… Rentrez maintenant au bras de votre infirmière, vous me ferez un dernier signe de la main de votre nouvelle fenêtre comme par le passé… Je vous répondrez par un autre, n’oubliez pas, Mère, que je vous aime ! Oui, rassurez-vous, j’ai éteint la lumière et fermé la porte à double tour…
jill bill